Groupe du mois

  • Akuma

    Mois:
    Janvier 2007
    Entrevue avec:
    Safwan (voix et guitare)
    Par:
    Martin Coutu

Votre tout nouvel album, intitulé ... Des Cendres et du désespoir, est disponible sur votre site web et lors de vos concerts depuis le 24 novembre dernier. Tout comme l'album précédent, vous avez pris la décision de ne pas faire appel aux services de systèmes de distribution et de ne pas rendre cet album disponible chez les grands disquaires. Que pousse le groupe à agir de la sorte?

En fait, nous avons désormais un contrôle total sur l'ensemble de notre discographie puisque nous avons également sorti notre premier album 100 DEMONS des systèmes traditionnels de distribution. La motivation première de cette option est de ne pas prendre part à un système hypocrite qui ruine les artistes et la création. L'industrie du disque détourne l'attention publique sur le «piratage» mais le vrai scandale réside dans les montants encaissés par les intermédiaires (notamment distributeurs mais surtout grandes chaînes de disquaires) sur le dos des artistes et de leur public. Dans l'échelle des revenus d'un disque, l'artiste se trouve au sous-sol, le producteur au semi sous-sol, le distributeur voit la lumière, pendant que la grande chaîne de disquaires en profite pleinement. Logiquement la perspective devrait-être inversée, non ? Tous ces intermédiaires sans l'artiste ne sont rien mais l'artiste, contrairement à ce que l'industrie prétend, peut se passer de leurs services (sévices). Nous en faisons la démonstration avec Akuma, comme tous les tenants du «do it yourself» l'ont déjà prouvé. Au coeur des années 80, le mouvement alternatif faisait de la démocratisation du prix des disques et de la juste rémunération des artistes une condition impérative. Les labels qui se revendiquent aujourd'hui de cet héritage ont complètement évacué cette notion et acceptent les règles dictées par les grosses enseignes du disque. Tu veux que ton album soit en point d'écoute dans l'une de ces enseignes, tu paies. Tu souhaites qu'un poster annonçant ton album y soit affiché, tu paies encore. Un pin sur la veste des vendeurs, tu paies toujours... Et quand un disque se retrouve à bon prix en magasin, c'est parce que le producteur lui a cédé gratuitement une partie de sa commande («free goods»). Au bout du compte, c'est toujours les mêmes qui casquent. En sortant de ce système, nous sommes certains que nos disques ne sont jamais vendus plus de 12,00 $ et ces 12,00 $ peuvent-être réinvestis intégralement dans l'activité d'Akuma. Quand on a sorti notre premier album de façon traditionnelle, il n'était jamais vendu moins de 12,00 $, souvent plus, et on ne recevait que 2,00 $ !

Votre nom de groupe, d'origine japonaise, a plusieurs définitions allant du dragon mythique au personnage du jeu Street Fighter en passant par le démon lui-même. Que signifie le nom Akuma pour le groupe?

«Aku» est un préfixe japonais qui définit tout ce qui est mal, «ma» définit l'esprit. Notre nom ne signifie toutefois pas qu'on fait du mauvais esprit mais plutôt qu'on a choisi l'étendard de celui qu'on pointe du doigt, qu'on craint et par qui on délimite et sépare ce qui est mal de ce qui est bon. Concrètement Akuma veut dire démon, définissant ce terme plus sérieusement en expliquant l'idée d'un homme devenu mauvais au point de changer de nature. Le mot peut être repris, par exemple, pour juger un enfant délinquant. On peut retrouver une référence au choix de notre nom dans le texte de notre la chanson You're it qui se trouve sur notre premier album 100 DEMONS. Le titre et la pochette de cet album font d'ailleurs aussi référence à la définition d'Akuma : le conte japonais des «100 démons» rapporte à des bandits devenus héros populaires. Comme quoi, tout est relatif !

Puisque vous défendez la vente d'albums à petite échelle chez les disquaires indépendants de même que le téléchargement libre de votre musique, comment arrivez-vous à défrayer les coûts de production de vos albums et vidéoclips? Avez-vous accès à des subventions?

Au niveau de la production de nos albums, nous n'avons jamais reçu le moindre sou des organismes de subventions. Le Conseil des Arts du Québec, son vis-à-vis au Canada et les autres ne doivent pas nous trouver qualitativement finançables, peut-être même un brin trop subversifs. C'est finalement plutôt bon signe. On a donc investi à mêmes nos deniers personnels et on s'est remboursés grâce aux ventes des albums et aux cachets des concerts. On ne vend pas des milliers de disques, on perd un peu d'argent mais on s'en sort et surtout on reste libres. Akuma est et restera un groupe amateur. Nous ne vivons pas et nous ne voulons pas vivre de notre musique. Notre seule ambition est que le public puisse nous écouter, réagir et éventuellement agir. C'est pour cette raison que nous mettons des chansons en écoute sur www.akuma.ca et que nous offrons parfois des MP3 en téléchargement. C'est de la promotion directe qui permet de contourner la censure par répétition des médias classiques où une minorité d'artistes est surexposée au détriment de la majorité. Auparavant, les gens dupliquaient et s'échangeaient des cassettes audios. C'est la même chose mais, avec les MP3, cela va beaucoup plus vite et à plus grande échelle. S'ils aiment nos chansons, nous sommes convaincus que ces auditeurs achèteront un jour ou l'autre l'un de nos albums. Nous croyons en la responsabilité individuelle et c'est la raison pour laquelle nous prenons le temps d'expliquer notre démarche. On ne se place pas dans une logique «vendeur-consommateur». Le groupe et son public sont acteurs d'un même processus. On marche ensemble : «Supportez ceux qui vous supportent !»

Pour les vidéoclips, on a produit nous-mêmes les deux premiers, Everything et Naufragés, grâce au dévouement et au talent de notre ami Alain L. Lavoie qui les a réalisés. C'est un passionné et la passion peut faire des miracles, même avec un budget oscillant de 0,00 à 1.000,00 $. Pour L'Alternative, Alain souhaitait faire une demande à Vidéofact. On a rigolé et, pensant qu'on allait une fois de plus se faire jeter, on lui a donné un simple démo de la chanson. Quand il nous a appris que Vidéofact nous avait accordé la subvention, on est restés bêtes et on est rentrés en studio pour enregistrer L'Alternative au mois de juin dernier. Les autres chansons du nouvel album n'ont été enregistrées que cet automne. C'est ce qui explique que le vidéoclip est sorti trois mois avant le disque. Ce n'était pas une stratégie commerciale, mais bien un impondérable !

On peut lire sur votre site web, par le biais de votre tribune libre intitulée le «Manifeste Terrorock», que «Conscients de la nécessaire rémunération de l'oeuvre artistique (pour pouvoir au minimum en financer sa production), nous réclamons la mise en place d'une taxe payée par les cablo-distributeurs et redistribuée équitablement à tous les artistes.» Comment, selon vous, un tel projet pourrait-il être envisageable?

Avant tout précisons que le terme technique «cablo-distributeurs» désigne les fournisseurs d'accès à Internet (Vidéotron, Sympatico... ). On entend souvent parler de téléchargement gratuit des oeuvres musicales. En réalité, ce n'est jamais gratuit puisque, pour télécharger, il faut d'abord être abonné à Internet. Tous les fournisseurs de contenu (comme par exemple les artistes avec leurs sites web) alimentent gratuitement la toile. Les fournisseurs d'accès bénéficient ainsi de ce contenu pour vendre leurs abonnements. Il serait donc logique que les fournisseurs de contenu, et notamment les artistes, puissent être également rémunérés par les fournisseurs d'accès à partir des revenus de ces derniers. Les fournisseurs d'accès opposent des arguments technologiques à cette proposition. Mais les radios avaient déjà usé de ce type d'arguments lorsqu'elles ont été soumises aux droits d'auteurs. Il est pourtant possible aujourd'hui de mesurer avec précision les rotations de chaque chanson sur l'ensemble du parc radiophonique. Il est évident que les multinationales propriétaires de ces fournisseurs d'accès vont tout faire pour protéger leurs monopoles financiers. Il est cependant regrettable que l'industrie du disque ne mette pas plus de pression... du moins pour les maisons de disques qui n'appartiennent pas à une multinationale également propriétaire d'un fournisseur d'accès Internet. Convergence quand tu nous tiens !

Les deux derniers albums d'Akuma paraissent sous l'étiquette Pavillon Noir Productions. De qui s'agit-il?

Notre premier album est paru sous l'étiquette Yakuza Productions qui est devenue Pavillon Noir Productions lors de la sortie de notre deuxième disque. Lorsqu'on a décidé que Subversion ne serait disponible que sur www.akuma.ca, lors de nos concerts et chez quelques disquaires indépendants, on a souhaité que le nom de notre label soit plus explicite de la démarche. Dans les faits, Yakuza Productions et Pavillon Noir Productions sont une seule et même structure qui est celle d'Akuma. Nous n'avons jamais été satisfaits du travail des labels. À l'époque de Banlieue Rouge (ndlr : Safwan était membre fondateur de ce groupe), on s'est faits arnaquer par Tir Groupé. Nous n'avons rien touché sur notre dernier album, Sous un ciel écarlate, qui est celui qui s'est le mieux vendu. Depuis 1995, nous ne touchons plus aucune redevance sur l'ensemble des disques de Banlieue Rouge, et ce en parfaite illégalité. N'achetez plus ces disques, ce sont des pirates, téléchargez les ! Avec Akuma, on a essayé de travailler avec quelques labels pour 100 DEMONS mais nous avons été déçus par les méthodes et les résultats. On a donc décidé de prendre en mains nos affaires à 100% en visant l'autonomie. Avec Pavillon Noir Productions, nous gérons nous-mêmes la production, la promotion et l'édition grâce à l'aide d'amis talentueux et passionnés. Si on n'est pas satisfaits, on ne peut s'en prendre qu'à nous. C'est plus sain et plus productif au niveau des engueulades !

Qu'est-ce que L'Alternative, exprimée dans la chanson du même nom avec laquelle vous avez réalisé votre dernier vidéoclip?

L'Alternative fait référence au formidable élan politico-culturel qui a eu cours dans les années 80... avant de s'écrouler durant la décennie suivante. Ce fut donc à la fois un vent nouveau porteur d'espoir et une cruelle désillusion. Le mouvement alternatif a généré dans un même souffle des vocations pluri-(in)disciplinaires : groupes musicaux, labels, fanzines, associations politiques, comités sociaux... Chaque spectateur avait la possibilité d'y devenir acteur. Pour paraphraser Masto des Bérus : plusieurs ont pris un micro, un stylo, un pinceau... au lieu de prendre une bière. Un slogan basque résume bien ce mouvement et l'ambiance qui y régnait : la fête oui, mais la lutte aussi ! Si ce mouvement a été initié en France, il a traversé l'Atlantique pour s'installer au Québec où il s'est forgé sa propre identité. Avec Banlieue Rouge, nous y avons participé avec coeur et conviction. Malheureusement, aujourd'hui, «alternatif» n'est plus qu'une étiquette fourre-tout et vide de sens pour désigner tous les artistes qui ne sont pas «mainstream» mais dont la plupart aspire à le devenir. Nous ne supportons pas l'association avec ces bouffons qui ont la prétention de prendre un micro... pour ne rien exprimer ! Les labels indépendants étaient toujours en pointe, innover pour palier à l'absence de médiatisation de leurs artistes. De nos jours, ils essaient de copier les méthodes des multinationales sans en avoir les moyens financiers. Les fanzines sont en voie de disparition et les webzines mettent du temps à prendre le relais. De nombreuses associations militantes ont été récupérées par les partis traditionnels pour alimenter les urnes. Rien de bien reluisant en somme. La situation de la scène est à l'image du désordre mondial qui opère actuellement. Il y a une perte de repères mais des situations chaotiques peuvent naître les plus belles aventures. La chanson L'Alternative est donc un hommage nuancé de sens critique.

En plus de votre musique engagée, de quelle façon les membres d'Akuma militent-ils de façon concrète dans la vie de tous les jours?

Notre militantisme, on l'exprime pleinement et principalement dans Akuma. Le groupe et ce type de musique est un vecteur privilégié pour exprimer des idées et des convictions qui nous habitent dans notre quotidien. Jouer cette musique dans le cadre où nous avons choisi de le faire est une action concrète. C'est un choix qui dicte beaucoup des directions que nous prenons dans d'autres facettes de nos vies, comme le travail. Nous évoluons aussi et sommes actifs dans des sphères autres que le rock. Conversations, échanges culturels, choix de consommation... chaque aspect de la vie quotidienne a un poids politique. Le militantisme premier commence par soi et opère concrètement dans nos actions au jour le jour. Par leur nature déclarative, l'avantage d'un disque ou d'un spectacle est que tu touches plus de monde d'un coup. L'inconvénient est que tu prêches souvent auprès de convaincus. C'est important mais c'est aussi très confortable comme perspective. Plus jeunes, nous étions plus impliqués dans la sphère politique qui croisait davantage notre scène. À l'époque alternative, elles étaient indissociables. Individuellement, nous étions très actifs au niveau de l'action antifasciste radicale. Mais la situation mondiale a terriblement évolué dans les quinze dernières années. Il y a une adaptation nécessaire et un temps de réaction pour le militantisme. L'action ne peut se passer de la réflexion et réciproquement, ou elle devient stérile. La mondialisation orchestrée par le néo-libéralisme a fragmenté le tissu social et militant. Même les luttes de quartiers ou d'entreprises sont maintenant conditionnées par la globalisation économique. Ces luttes ne doivent surtout pas disparaître mais doivent se coordonner à l'échelle planétaire pour être efficaces. C'est ce que tente de faire le mouvement alter-mondialiste, notamment en organisant des forums sociaux dans les quartiers du monde. À notre façon, avec nos instruments, on essaie de prendre part à ce vaste mouvement de résistance : «Créer, c'est résister ! Résister, c'est créer !».

Quelles sont les influences du groupe au niveau des textes? Plusieurs grands penseurs sont cités à l'intérieur de la pochette de votre dernier album; y en a-t-il parmi ceux-là qui constituent une ligne directrice pour vous guider dans votre activisme?

L'écriture de nos textes n'a pas d'influences spécifiques. J'écris sur ce qui me touche ou me motive suffisament pour avoir envie de le chanter, ou plutôt de le crier. Cependant les idées, les penseurs, la culture qu'il m'a été donné de lire (et qui ont certainement été une influence formatrice dans ma facon de voir le monde) sont à portée de main. Je veux lancer des pistes, transmettre une partie des idées et des inspirations qui peuvent m'avoir poussé à écrire sur un sujet où sur un autre. Je souhaite aussi montrer que beaucoup des idées qu'on considère souvent «militantes» ou qu'on taxe facilement de révolutionnaires ne datent généralement pas d'hier. Et je crois que le militantisme n'est souvent qu'une question de «gros bon sang». Et ça, je trouve que beaucoup d'écrivains, d'horizons différents, le font passer beaucoup mieux que moi. Quand tu as la chance d'entendre Albert Jacquard, qui est physicien à la base, te parler du militantisme comme de la seule option saine humainement, dans un language simple, franc et chaleureux, tu peux facilement être touché par ses propos. Il fait des liens et des parallèles interessants et mène son militantisme holistique à des sphères où il n'est généralement pas présent. Je veux que les idées interessantes à mes yeux puissent circuler via Akuma, que des bribes de la culture qu'on estime puisse filtrer grâce au livret du dernier album, que ceux dont les sujets des chansons ou les auteurs des citations intéressent puissent trouver un point de départ pour en découvrir plus.

On a pu vous voir sur les plaines d'Abraham en juillet 2004 à l'occasion de la Fiesta Bérurière. Parlez-nous de cette expérience de scène.

En un mot : boueuse ! Plus développé et affectivement, c'était fort de retrouver les Bérus. François, le chanteur, a sorti en France sur son label le premier disque de Banlieue Rouge avant même qu'il ne sorte au Québec. Banlieue Rouge a aussi beaucoup tourné avec Molodoï, le deuxième groupe de François. Notre gérant est un de leurs compagnons de route. Bref, tout cela crée des liens. Il y a toujours de l'électricité dans l'air lors des concerts de Bérurier Noir. Cette fois, tout le monde attendait une émeute sur les Plaines d'Abraham. L'émeute, elle est venue du ciel sous la forme d'une mini-tornade qui a transformé le terrain en bourbier géant, le public en statues de glaise et qui a endommagé une bonne partie de l'équipement. Avec Akuma, nous avons joué juste après le déluge dont personne, y compris nous, n'était visiblement complètement remis. C'était paradoxal de jouer sur l'une des plus grande scène en Amérique du Nord avec une technique réduite à celle du club le plus pourri au Québec. Mais, une fois dans le chaos, tu fais avec et tu donnes tout ce que tu as dans le ventre. La réaction a été bonne, fidèle au joyeux merdier qu'affectionnent tant les Bérus. Après on peut s'interroger sur le décalage entre les 50.000 personnes présentes ce soir là et la réalité des groupes de rock québécois qui attirent entre 150 et 300 personnes toute l'année. La Fiesta Bérurière ne devrait pas se limiter à une soirée nostalgique. L'histoire du rock engagé ne s'arrête pas à Bérurier Noir, aussi important et marquant soit le groupe pour plusieurs générations. À la fin du dernier concert bérurier à l'Olympia de Paris en 1989, Loran Béru avait lancé dans un cri : «Formez des groupes de rock libres !». Plusieurs l'ont pris au mot et ils méritent votre intérêt et votre soutient.

Que réserve 2007 pour Akuma? Ou plutôt, que réserve Akuma pour 2007?

En 2007, Akuma sort de sa réserve ! Dès la fin février, nous partons en tournée à travers le Québec avec Subb et Vulgaires Machins. Des gens dont on se sent proches tant sur le plan humain que sur le plan des idées, et bien entendu dont on apprécie la musique. Ce sera une tournée placée sous le signe du rock militant. On espère également donner des concerts en Europe au cours de l'automne 2007. Une année terrorock !

À propos

  • Région:
    Montréal
    Ville:
    Montréal
  • Style de musique:
    Hardcore, Oi & Punk
    Actif depuis:
    1998
    Maison de disques:
    Pavillon Noir Productions
  • Site officiel:
    www.akuma.ca
    Courriel:

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